3. Traductions – Texte [a2]

Le Rocher du Caro dans sa traduction se poursuit par une datation d’un événement de mortes eaux en 1787, un record de marée basse.

3.4 Le texte [a2]

3.4.1 Ligne 1

Remarques préalables : impacts d’une première fissure

Avant de continuer notre travail, nous devons corriger les transcriptions fournies car elles comportent plusieurs erreurs.
En début de ligne 1, S2 nous propose de lire AZOMOA. Pourtant les deux détails ci-dessous semblent autoriser la lecture AZOMGA ou AZOMCA au lieu d’un 2ème O :

Détail du début de la ligne 1 pages 58-59 du dossier
Détail du début de la ligne 1 pages 58-59 du dossier

Juste après, S2 propose RΘPA mais en réalité, la lettre Θ est simplement O traversé par une courte fissure de la roche comme l’illustre ce détail de la photo de la page 57 :

Détail du début de la ligne 1 pages 58-59 du dossier
Détail du début de la ligne 1 pages 58-59 du dossier

Impacts de la fissure n°2

Également, une fissure naturelle du rocher transforme un signe I (ou éventuellement un J) en une sorte d’oméga grec Ɣ qui n’existe pas en breton :

Détail de la fissure en page 54 du dossier
Détail de la fissure en page 54 du dossier

En poursuivant, le signe qui suit semble être un c minuscule et a été retranscrit comme tel. Mais une seconde photo nous montre qu’il s’agit plus probablement d’un Z, le c étant sa boucle inférieure (toujours gravé sur le rocher de la sorte en S inversé). Cette remarque est d’autant plus cohérente que le Z aurait alors la même taille que les autres lettres de l’ensemble. Là où le c ne semble faire que la moitié du D qui suit en hauteur de fût.

Détail de la même zone en page 6 du dossier : mise en évidence d'un Z
Détail de la même zone en page 6 du dossier : mise en évidence d’un Z

Impacts de la forme du rocher

Nous ajoutons l’hypothèse d’un O final, celui qui surmonte le dernier A du groupe dARA que S2 indique. Mais pas à la bonne place en l’alignant par erreur avec dAR. La roche possède un défaut immédiatement après le groupe FET au-dessus ce qui a contraint le graveur à écrire la lettre finale plus petite et légèrement en dessous :

Cf. Photos page 11 du dossier : le défaut a contraint à écrire un o plus bas
Cf. Photos page 11 du dossier : le défaut a contraint à écrire un o plus bas

Le R de dARA étant légèrement orienté vers le haut, nous avons l’impression que le o est aligné avec dAR. Mais, comme le montre la photo ci-dessus, ce n’est pas vraiment le cas. En réalité, le graveur a tout simplement été contraint à écrire le dernier A légèrement en dessous de dAR pour les mêmes raisons que le o a été lui aussi abaissé.

Si bien qu’au lieu du AZOMOARΘ PA ƔCDOFET dARo A de S2, nous proposons la correction AZOM CARO PA IZ DO’FET o dARA en notant que dARA ne peut pas être la fin de la ligne du dessous comme l’illustre aussi les photos de la page 11, mais un renvoi que le graveur a effectué en raison de la forme du rocher, immédiatement après FETo.

Nous notons enfin que le rocher est clairement fracturé en fin de ligne. Ce qui nous autorise à supposer une lacune éventuelle après dARA. Et qui explique aussi pourquoi dARA n’a pas été écrit à la suite de DO’FETo :

Photo page 11 du dossier - Détail de la partie droite
Photo page 11 du dossier – Détail de la partie droite

Formes finales du texte

S1                               BO…FET
                                        DAR
ASOMGAROPA
S2AZOMOARΘ PA ƔCDOFET
                                       DAROA
S3AZOM GARO PA IZ DO’FET o
                                         dARA
Translittérationa zô ‘m Garo pa Iz dô’fet o dara
Forme finalea zô ‘m Garo pa Iz dôa bet o daré
TraductionOn est dans mon Caro lorsque l’Iroise avait été à marée basse

Analyse :

  • S1 comporte pour erreur principale une curieuse mise en forme puisque deux groupes finaux BO…FET et DAR sont placés avant le début de la ligne. Comme de coutume, les Z sont notés S dans S1 encore une fois, et un F a été noté B. Tout ceci est corrigé dans S2.
  • Mais comme nous l’avons démontré précédemment, S2 introduit de nouvelles erreurs que nous corrigeons avec les photos S3 (ainsi que le o final noté en majuscule). En revanche, S2 corrige la mise en forme générale de S1, plaçant le groupe DAR sous le groupe FET
  • a zô est la forme impersonnelle « On est »
  • Le ‘m est la contraction de em signifiant « dans mon »
  • Karo est le nom du lieu « Caro » qui subit ici une mutation adoucissante de liaison en Garo
  • pa est l’une des trois conjonctions « quand », « si » ou « lorsque »
  • Iz est le nom propre « Iroise » que nous avons déjà rencontré
  • Si nous nous intéressons à la fin de la ligne, o est la préposition « à » et daré (variante de daere, dazre) signifie « la basse marée »[1] (mortes eaux). Nous admettons ici que dara en est une forme dérivée en breton prémoderne (non attestée).
  • Il reste alors à traduire le groupe do’fet, la forme qui amène le plus de difficultés dans notre traduction. Nous allons voir ci-après qu’il faut la comprendre comme une contraction de dôa bet et signifie « avait été » au plus-que-parfait du verbe « être » à la 3ème personne du singulier.

[1] Cf. Le Gonidec, p. 227

Détail technique : traduire la forme verbale do’fet

  • do’fet est nécessairement un groupe verbal mais l’apostrophe indique une contraction. Ce mot ne peut pas être formé immédiatement et trois hypothèses sont envisageables. En premier lieu, intéressons-nous au radical do :
    1. Les formes do’ ou dou’ ne nous permettent pas d’identifier un infinitif – sinon dol, le verbe « gondoler » mais qui n’a pas de sens dans le contexte.
    2. n admettant une éventuelle mutation douce en d, nous chercherions des verbes commençant par to’ ou tou’. Mais cette hypothèse ne mène nulle part aussi.
    3. Le verbe irrégulier et auxiliaire kaout, « avoir », possède une forme en dôa à la 3ème personne impersonnelle de l’imparfait[2] (« on avait ») et une forme dôé à la 3ème personne impersonnelle du parfait[3] (« on eut »), les seules hypothèses viables pouvant donner do’.

[2] et [3] Cf. Le Gonidec, p. 33

  • Dans un second temps, intéressons-nous à la terminaison -fet. Là encore plusieurs pistes sont possibles :
    1. -fed est la terminaison du conditionnel 1 (ou potentiel) des verbes et se prononce -fet. Mais il est ici nettement écrit –fed et non -fet. Nous devons donc abandonner cette piste.
    2. Pour le verbe kaout on attendrait alors défé au conditionnel 1 (« il aurait »). Nous sommes donc dans une impasse là aussi : cette terminaison ne peut pas être celle de kaout.
    3. Nous devons alors nous rappeler que kaout est un auxiliaire. Il manque donc le participe passé d’un autre verbe dans la construction. Or les participes passés bretons ont bien une terminaison en -et. Dès lors, ce participe passé ne peut être que celui d’un verbe très court. Le candidat idéal étant bet, participe passé du verbe irrégulier bezañ « être ».
  • Pourquoi do’fet est la contraction de dôa bet ?
    1. L’apostrophe indique que dôa ou dôé est devenu dô’. Assez logiquement nous optons pour l’imparfait dôa (la narration) plutôt que le parfait, d’autant que le verbe de la proposition principale (a zô’m Garo) est au présent, plus cohérent pour une concordance des temps
    2. Pour le b devenant f deux options peuvent l’expliquer simultanément :
      1. Sur le plan graphique, nous notons que le F est le seul du texte [a2] et il est clairement en majuscule. Or comparativement, les F du texte [a1] étaient en minuscule. Nous ne savons pas si [a1] et [a2] sont de la même main mais nous notons la différence.
        Cependant, l’hypothèse qu’un F soit ici mal reconnu et qu’il soit en réalité un b minuscule est valide : le trait supérieur du F serait alors un défaut de la roche, et le bas du b, sa boucle, peut être partiellement effacée de sorte qu’un F est formé
      2. Sur le plan phonétique maintenant, et étant donné la contraction du radical dôa, nous devons nous rappeler que le P et le F sont en réalité le même son PH en phonétique (comme le Phi grec ou le Pf allemand).
        Or la plosive P peut aussi dériver en B et réciproquement dans bien des langues. Dans le cas du breton, la consonne non mutée p peut s’adoucir en b ou devenir spirante en f. Dès lors, un bet peut muter en fet pour assurer la liaison avec l’auxiliaire contracté do’.
        Cette transformation phonétique montre également que l’auxiliaire et son participe passé tendent à être lexicalisé en un seul mot : le participe passé étant invariable, il devient simple suffixe de l’auxiliaire qui est lui conjugué

3.4.2 Ligne 2

Remarques préalables :

La transcription S2 proposée en 2019 n’offre aucun élément pour cette ligne : elle est omise bien que partiellement visible dans S3 sur plusieurs photos du dossier.

En revanche, S1 propose VARLAEOERIATQDAO, ces lettres étant bien localisées entre les lignes 1 et 3. Une difficulté s’impose alors à nous car S1 offre des lettres sans cohérence apparente avec l’observation des photos.

Nous devons donc reconstruire la ligne en lacune lettre à lettre dans la mesure du possible.

Les photos des pages 6 et 59 permettent de repérer 4 lettres de S1 notées en vert ici VARLAEOERIATQDAO en relation avec les photos (en jaune ci-dessous) :

Photo page 6
Photo page 6
Photo page 59
Photo page 59

Nous pouvons alors reconstituer le début de la ligne VARLAE dont le E est lisible sur la photo en page 6 et le groupe OTEZ lisible sur les deux photos – le T ayant été omis dans S1 et le Z ayant été confondu avec un R également (lorsqu’un Z est dessiné en arrondi, il suffit de le compléter par un fût vertical suffisamment proche pour former un R).

Dès lors, nous pouvons translittérer immédiatement var-lae{z} o tez. S1 indiquait « VAR » ce que nous pouvons supposer être un WAR en breton moderne, le W ayant probablement la même graphie que le V en breton prémoderne. Il est alors aisé de trouver le mot war-laez dont le z final devait déjà être en lacune dans S1. Il signifie « en hauteur ».

La suite o tez est le groupe verbal « on mesure » à la 3ème personne impersonnelle du présent de l’indicatif, l’infinitif tezañ voulant dire « toiser, mesurer » et trouvant son étymologie dans l’ancien système de mesure, la toise, en vigueur au 18ème siècle.

Ce début est indispensable pour traduire ce qui suit car nous venons de créer un contexte sémantique précis qui établit un cadre.

Suit alors un M, très « ramassé » en partie haute et étrangement petit. Nous en déduisons que ce n’est pas un M. S1 place là le groupe IA que nous pouvons retrouver en supprimant leurs moitiés inférieures, ce qui reste permet de former un « petit M » en reliant le sommet du fût du I avec l’horizontale du A.

Détail de la photo page 58  - Mise en évidence de "IA"
Détail de la photo page 58 – Mise en évidence de « IA »

Nous émettons alors une hypothèse déduite de notre début de traduction : nous n’attendons là ni un M à la graphie douteuse, ni le groupe IA compris comme tel en 1984, mais un nombre, mis en évidence dans l’image ci-dessus : « 14 ». En effet un A et le chiffre 4 peuvent se confondre aisément.

Notre translittération est donc maintenant var-lae{z} o tez 14 et ceci implique en toute logique que le mot qui suit est très probablement une unité de mesure.

Mais avant de d’exposer notre hypothèse, nous examinons les photos : suivant notre « 14 », nous croyons lire partiellement un A ou un signe + (Cf. photos ci-dessus). S1 propose d’ailleurs un T éventuellement ressemblant avec le + visible aujourd’hui.

La lettre suivante semble être un G mais cette hypothèse ne tient pas : il est trop petit, en position décalée vers le bas, et ne ressemble pas du tout aux autres G du texte [a2] (Cf. dernière ligne dans le groupe PRIGILOD) : ils sont toujours gravés selon un arc-de-cercle, partant d’un C comme base, quand celui ci-dessous est obtenu par cinq petits segments, le seul G de tout le rocher qui serait dessiné ainsi. S1 propose un Q à cette place sans que nous puissions y voir un ressemblance morphologique quelconque. Nous verrons qu’en fait, c’est un R.

Les deux lettres d’après semblent nous donner tM alors que S1 propose un D, une confusion qui s’explique car les D de ce texte [a2] (comme [a1] d’ailleurs) sont très fréquemment gravés par la minuscule d. Ensuite, une fissure traverse le M (en rouge ci-dessous), celle-là même qui à la ligne au-dessus a transformé un J en Ɣ.

En réalité, il n’y a pas de t minuscule ici mais la partie ronde d’un d, son fût étant celui du M voisin. Dès lors, le M tombe et il ne reste que son second fût éventuellement.

Détail comparatif de la photo page 58 - Mise en évidence du d minuscule et de la fissure
Détail comparatif de la photo page 58 – Mise en évidence du d minuscule et de la fissure
Détail de la photo page 58 - La fissure dans son ensemble
Détail de la photo page 58 – La fissure dans son ensemble

Cependant, nous allons voir que nous avons là un o confondu dans S1 avec un d. Les photos n’offrent rien après tM sinon un vague trait légèrement oblique (cf. ci-dessus en jaune) qui apparait parfois sous la forme d’un + dans S3 notamment sur les photos en page 56 et 58.

La fin de S1 propose en ce lieu le groupe DAO là où S3 ne permet pas de voir ces lettres.

Notre solution est donc TROATAD en correspondance exacte sur deux lettres avec S1 indiquée en vert ici : TQDAO. Dès lors que nous prenons le d pour en faire un o (en supposant une haste surnuméraire) et que nous ignorons le O final de S1, il ne reste à résoudre que la présence du R.

Cela est possible en raison de la forme particulière du Q qui peut être confondu avec un R si le fût du du R est partiellement effacée en partie basse : s’il ne reste du R qu’un petit rond placé en position haute, complété du trait diagonal du R : nous avons alors un Q.

Ces considérations nous amène à lire le groupe TRoA. L’observation des photos montre la possibilité d’un A puis d’un d formé avec le premier j du groupe jAIEj. Nous formons donc TRoA Ad, l’espace restant permettant de placer un t complètement effacé aujourd’hui.

Détail de la photo page 56 - Notre hypothèse TRoATAd
Détail de la photo page 56 – Notre hypothèse TRoATAd

Détail syntaxique important :

L’unité de mesure ne s’accorde pas au pluriel à en croire l’exemple proposé dans le Gonidec dans la définition de troatad en page 585 :

Dék troatad héd en deûz « il a dix pieds de long »

Enfin, les photos S3 nous permettent de terminer la ligne par AIEJ – là où dans S1 nous n’avions rien. Notons qu’il est très paradoxal de constater qu’en 1984 la presque totalité de la ligne 2 est suffisamment lisible pour autoriser une transcription de laquelle le groupe jAiEj est complètement absent, quand au contraire en 2019, la totalité de la ligne a disparu et qu’uniquement ses dernières lettres « apparaissent ».

L’hypothèse la plus simple est qu’un phénomène (naturel ou pas) a brutalement provoqué une forte érosion de la ligne 2 exclusivement et même l’apparition de traits supplémentaires et de nouvelles lettres. Une explication simple est que le rocher connaît une strate de densité plus faible à cet endroit. L’érosion de la mer, éventuellement conjuguée avec celle de l’Homme, a provoqué l’effacement des lettres.

Dans cet optique, l’apparition soudaine de lettres nouvelles en fin de ligne 2 pourtant absentes en 1984, nous autorise à penser que ces lettres sont le résultat d’une gravure additionnelle postérieure : un graffiti.

Idéalement, un examen plus approfondi de la roche permettrait de valider cette hypothèse. Mais comme l’auteur de la présente étude travaille à 500 km de distance, cela n’est actuellement pas possible et demandera donc un approfondissement futur éventuel.

Toutefois, nous proposons ici une preuve indirecte en tentant de traduire la séquence jAIEj que la photo en page 55 nous offre clairement :

  • Il n’existe qu’un unique mot breton (d’après le Meurgorf) contenant jai : dijaik qui veut dire « déjà » et qui n’est pas compatible avec le Ej final
  • Si nous cherchons un mot breton contenant dai nous en trouvons onze, tous de plus 6 lettres qui ne peuvent pas correspondre non plus
  • Si maintenant nous ignorons la première lettre en cherchant aie, nous trouvons 13 mots eux-aussi de plus de 6 lettres : cette piste est avortée.
  • En regardant plus attentivement la photo, nous nous apercevons maintenant que le I central n’est pas un fût vertical mais une diagonale qui cache probablement un V :
    • Si nous cherchons alors jave nous trouvons tous les mots issus de la racine signifiant « poitrine, mâchoire » ce qui n’a aucun sens
    • jav est également le mot pour « monture, attelage » qui n’a pas plus de sens
    • Si maintenant nous cherchons dav, nous trouvons l’expression dav eo pour « il est nécessaire, seule hypothèse de traduction qui aurait éventuellement un sens (au détail près que le j final serait un o en erreur)

Remarquons que si le première lettre est un d (la finale de troadad justement) et qu’il était encore visible en 1984, un promeneur a pu le compléter en ajoutant « avid » pour former le prénom « dAVId » chose possible si nous admettons que le E est en fait le fût d’un I complété par trois traits en graffiti.

Conclusion :

Ce qui nous donne en synthèse la correspondance suivante :

Notre solution de lecture de la ligne n°2
Notre solution de lecture de la ligne n°2

Nous notons sur fond gris ce que nous pensons être le graffiti « dAVId » ajouté après 1984.

Notre conclusion se trouve être la traduction elle-même dans le cas présent puisque nous avions une ligne particulièrement usée.

S1VARLAEOERIATQDAO
S2Aucune
S3VARLAEOTEZ M GEM JAIEJ
Translittérationvar-lae{z} o tez 14 t[roatad] / {dAVId}
Forme finalewar-laez o tez 14 t[roatad] / {dAVId}
TraductionEn hauteur on mesure 14 [pieds] / {David}

Nous mettons ici en évidence le « parasitage » induit par un graffiti moderne et la nécessité de protéger et conserver le patrimoine historique.

3.4.3 Ligne 3

Remarques préalables :

Pour la ligne 3, nous devons corriger légèrement S2 car les photos 12 et 28 de S3 nous montrent qu’elle commence par le groupe NELA et non pas IELA : le 2ème fût du N a été isolé pour former un I, quand son premier fût et sa diagonale ont été pris pour former un A, une griffure de la roche ajoutant un très léger trait horizontal.

Photo page 28 - Détail du début de la ligne 3
Photo page 28 – Détail du début de la ligne 3

La photo page 58 laisse planer un doute que la lettre C qui suit le groupe EOD dans S2 : nous la considèrerons comme étant en lacune [C] dans notre translittération. Potentiellement, elle pourrait aussi être un G, un O voire un Z … ou un défaut du rocher ?

Photo page 58 - Détail comparatif de deux C de la ligne 3 : le dernier est incomplet
Photo page 58 – Détail comparatif de deux C de la ligne 3 : le dernier est incomplet

Les photos de S3 en pages 53, 54 et 57 nous montrent que la fin de la ligne DA AOMA admet un Z ou un R potentiellement en lacune qui suit le A. Ce qui permet de former dARAoMA ou dAZAoMA

Photo page 57 - Détail de la lacune Z ou R possible
Photo page 57 – Détail de la lacune Z ou R possible

La photo en page 55 est la seule qui montre une trace en fin de ligne et dans une moindre mesure la photo en page 6 montre la bordure du rocher en cet endroit :

Photo page 55 - Détail de la lacune en fin de ligne 3
Photo page 55 – Détail de la lacune en fin de ligne 3
S1NELACIEOD…ET…F…AOMA
S2AIELAChEODCET DA AOMA
S3NELAChEoD[C]ET   DA[…]AOMA[…]
Translittérationne lac’heod [c]et darao-ma[ñ]
Forme finalene lac’hjod ket daraou-ma[ñ]
Traductionon ne positionna pas (toutes) ces mortes eaux

Analyse :

  • S1 ne décompose pas le N initial comme S2 : cette source était donc exacte. En revanche S1 ne note pas le h qui suit le C et propose un F sans relation possible avec S2 ou S3
  • S1 et S2 comme de coutume, propose un O majuscule alors que S3 nous montre une minuscule
  • Dès lors, nous reconnaissons la construction négative ne _ ket, la consomme k visiblement toujours notée c en breton prémoderne
  • Nous nous intéressons alors au mot darao pluriel de dara que nous avons déjà vu en ligne 1 : nous traduisons donc « les marées basses » pour lequel le o vaut un ou en breton moderne comme nous l’avons déjà noté précédemment
  • La terminaison -mañ est l’adjectif démonstratif pluriel « ces » duquel le ñ final est en lacune (Cf. photos pages 6 et 55)
  • Il reste alors à traduire le groupe LACHEOD. D’après le Gonidec p. 408, léac’h signifie « lieu, endroit » duquel est issu le verbe lac’h. Ce verbe est la mutation spirante de lak, racine du verbe à l’infinitif lakaat, c’est-à-dire « mettre ». D’après le Gonidec p.408-409, léc’hia est le verbe « mettre, placer ». Dans le contexte, le verbe français « positionner » correspond le mieux à l’idée exprimée ici car elle sous-entend une évaluation numérique – presque synonyme de « mesurer ».

Mais la terminaison pose problème car -eod n’existe pas en conjugaison bretonne. Nous trouvons en revanche que :

  1. -e est la 3ème personne de l’imparfait
  2. -ed est la 3ème personne impersonnelle de l’imparfait
  3. -jod est la 3ème personne impersonnelle du passé simple

Nous retiendrons la terminaison du passé simple -jod. Il semble que le graveur a confondu les deux temps et a mélangé les deux terminaisons. Cependant, nous ne sommes pas là dans le registre d’une action répétée ou de la narration, mais ponctuelle : le passé simple est donc plus approprié que l’imparfait.

Conclusion :

Il est normal d’envisager que le graveur ait pu commettre une erreur en épigraphie car contrairement à l’écriture cursive sur un support qui autorise la vitesse de la main, la gravure est réalisée soit à partir d’un brouillon manuscrit, soit de mémoire, mais dans tous les cas par une méthode mécanique lente qui ne répond pas aux mêmes règles de psychomotricité.

3.4.4 Ligne 4

Remarques préalables :

S1 fait état d’un C en début de la ligne, noté Γ (le gamma grec) dans S2. Ce signe est en fait mal formé : c’est un E dont il manque deux horizontales. De manière constante nous remarquons encore une fois que les Z sont notés par des S dans S1 – ce que S2 corrige. Mais nous notons aussi pour la première fois une exception : le groupe ESEL noté dans toutes les sources avec un S et non pas un Z.

Plus important, S1 et S2 omettent une lacune pourtant en partie visible dans S3 principalement sur la photo de la page 6 du dossier, sous la fin de la ligne 4, en renvoi :

Photo page 6 - Détail de la lacune de la ligne 4
Photo page 6 – Détail de la lacune de la ligne 4

Au moins trois lettres sont lisibles, dont un R parfaitement formé, probablement précédé d’un b. Notons immédiatement que ce groupe est nécessairement la fin de la ligne 4. Nous remarquons d’ailleurs que la fin de la ligne 5 (qui se termine par l’année 1787), contourne par en dessous ce groupe, ne laissant aucun doute sur sa présence en ce point du rocher au moment de sa gravure.

S1CULESEDAREIDIMEVSMES
S2ΓVLES ELd A RE IdIMEVZMEZ
S3[E]UL ESEL dAR EI dIMEUZ MEZ * […]bR[…]
Translittérationeul {lec’h} esel d’ar ei dimeu{r}z mez * [e]br[el]
Forme finaleeul {lec’h} izel d’ar ei{l} dimeu{r}zh miz * [e]br[el]
Traductionun {lieu} très bas au deuxième mardi, le mois * d’avril

Analyse :

  • Nous traduisons cette ligne par la fin en raison d’un lien évident avec le texte [a1] : la date du mardi 10 avril 1787, semaine de Pâques. Nous reconnaissons en effet le mot dimeu{r}z (dont le R manque : nous corrigeons donc le scribe), le mardi, le h final de dimeurzh étant manquant nous déduisons que l’auteur n’est pas du Vannetais.
  • Le mot miz, le « mois », est écrit mez ici, soit pour des raisons d’affaiblissement phonétique, soit à cause d’un défaut de la roche qui transforme le I en E – sans que nous puissions décider.
  • Et enfin la lacune reconstituée qui contient bR est le nom du mois ebrel, donc le mois d’avril.
  • Dès lors nous pouvons former le mot ei juste devant le mot mardi. Nous le complétons par un L manquant en supposant ici qu’en breton prémoderne, ce mot s’écrivait ainsi. eil signifie « deuxième », et force est de constater que le mardi 10 était bien le deuxième mardi du mois d’avril. Il est aussi possible que le scribe a oublié cette lettre – mais comment décider ?
  • Nous pouvons maintenant traduire le groupe DAR par d’ar qui signifie « au »
  • Et alors traduire le début de la ligne : eul signifie « un, une » mais qui devrait normalement être suivi d’un mot commençant par L[1] comme l’indique le Gonidec : c’est obligatoire.
  • Le mot esel n’existe pas mais si nous admettons qu’en breton prémoderne il s’écrivait avec un Z et non un S, nous devons chercher le mot ezel qui s’écrit aussi izel[2]. ëzel désigne les membres d’un corps – ce qui n’a pas de sens dans le contexte – alors que izel est l’adjectif voulant dire « bas, très bas » ce qui aurait du sens dans notre texte. Nous supposons ici que l’auteur de l’inscription a phonétiquement confondu les deux mots car homophones.

Cependant, nous avons alors un problème grammatical : l’adjectif izel ne se rapporte à aucun nom. Or nous avons l’article indéfini eul suivi d’un adjectif izel ce qui ne constitue pas un groupe nominal complet.

Nous pourrions être tenté d’explorer la piste du verbe izelaat (« abaisser, baisser »), izel voulant alors dire « il baisse » à la troisième personne de l’indicatif. Mais là encore, impossible de résoudre car le verbe ne peut suivre l’article indéfini eul.

Seule solution : il manque un nom commun dont nous savons qu’il commence par un L.

  • Nous extrapolons que le mot manquant est lec’h qui signifie « lieu, endroit ». Et nous avons une preuve indirecte de la raison de cette omission : juste au-dessus, en ligne 3, notre graveur avait sculpté le verbe lakjod dont nous avons vu que la racine est voisine (d’après le Gonidec p. 408), de léac’h qui signifie « lieu, endroit » comme nous venons de le voir.

Un mot voisin étant présent juste au-dessus, l’auteur a crû probablement qu’il l’avait déjà inscrit.

Nous n’avons bien sûr aucune preuve de cette erreur que nous corrigeons là. Mais nous réussissons toutefois à émettre une hypothèse plausible.

Conclusion :

Nous avons déjà évoqué que le graveur peut commettre des erreurs : nous en avons là un très bel exemple. Entre des lettres oubliées (des fautes d’orthographe donc) et là un mot tout entier omis, nous montrons toute la difficulté du travail d’un épigraphe.


[1] Cf. Le Gonidec, p. 307

[2] Cf. Le Gonidec, p. 310

3.4.5 Ligne 5

S1ARPRIGILOD1787
S2ARPRI GILOd 17©87
S3AR PRIGILod 17©87
Translittérationàr pri-gil od 1787
Forme finaleàr pri-gil o(u)d 1787
Traductionconcernant le recul boueux en 1787

Remarques préalables :

  • Toutes les sources sont globalement concordantes à l’exception de S1 et S2 qui notent encore une fois un O majuscule au lieu d’un o minuscule

Analyse :

  • Le groupe AR se détache nettement de la suite et peut se lire avec àr puisque les accents ne sont jamais notés dans les sources. Nous retenons ici àr (ou war) qui signifie « concernant ».
  • PRIGILOD semble écrit en un seul mot mais n’a pas de sens immédiatement reconnu dans les dictionnaires (même le Meurgorf). Il semble donc que nous ayons là un hapax et nous devons donc trouver le sens avec le contexte. Mais l’examen de la photo d’ensemble en page 6 du dossier semble détacher deux groupes : PRIGIL et OD
    • pri signifie « argile, boue » et peut être utilisé en préfixe ou en suffixe. Mais il a également un sens plus abstrait notamment pour exprimer des choses négatives. Par exemple ober pri signifie « gâcher », ou pich pri, qui désigne un homosexuel (pich désigne de pénis de manière péjorative).
    • kilañ est le verbe « reculer » : kil veut donc dire « il recule » et une mutation adoucissante peut donner la forme gil. La forme a-gil signifie « à reculons ». Nous pouvons en déduire que pri-gil est une forme construite de la même manière, pour donner un sens négatif (donc boueux) au recul. Nous le traduisons mot-à-mot.
    • Enfin, od doit se comprendre comme étant la préposition oud ou encore ouzh qui signifie « vers ». La suite étant une année, nous le traduisons par « en ». Plusieurs raisons peuvent justifier de l’absence du U en breton prémoderne : un oubli du graveur, une graphie usuelle du OU en O (un régionalisme ?) ou encore une évolution entre le prémoderne et le moderne. Mais nous ne pouvons pas décider.

Conclusion :

Bien que pri-gil soit un hapax, l’épigraphe peut procéder par une recherche étymologique pour en reconstruire le sens comme nous venons de le faire.

Le cœur surmonté d’une croix est le symbole de dévotion du Sacré-Cœur, mais il est aussi et surtout dans cette région bretonne, le symbole du Cœur Vendéen indiquant le rattachement à la monarchie (ce qui deux ans avant la Révolution Française n’est pas surprenant !). C’est là l’expression personnelle du scribe.

3.4.6 Le texte [a2] : Synthèse des lignes 1 à 5

Nous obtenons le texte suivant :

a zô ‘m Garo pa Iz dôa bet o daré
war-laez o tez 14 t[roatad]
ne lac’hjod ket daraou-ma[ñ]
eul {lec’h} izel d’ar ei{l} dimeu{r}zh miz * [e]br[el]
àr pri-gil o(u)d 1787

Que nous pouvons traduire par :

On est dans mon Caro lorsque l’Iroise avait été en marais basse
en hauteur on mesure 14 [pieds]
on ne positionna pas (toutes) ces mortes eaux,
un {lieu} très bas, au deuxième mardi, le mois * d’avril
concernant le recul boueux en 1787

Notre traduction confirme la date déduite dans le texte [a1]. Cette fois-ci, le jour (mardi) est donné ainsi que le mois et l’année.

Mais au-delà de la date, nous avons aussi la même indication maritime. Les textes [a1] et [a2] décrivent donc la même chose : une marée extrêmement basse.

Nous renvoyons à nouveau le lecteur à notre annexe (Chapitre 4.1) sur les mortes eaux à Brest entre 1785 et 1789.

Ce deuxième texte [a2] n’est cependant pas nécessairement du même auteur que [a1] car rien ne peut l’affirmer ou l’infirmer. Ont-ils été gravés le même jour ? Si ce n’est pas le cas, c’est à peu de temps d’intervalle. Nous remarquons cependant que le texte [a1] comporte moins d’erreur que le [a2] ce qui tendrait à valider l’hypothèse de deux scribes.

Nous pouvons enfin émettre une dernière hypothèse : que le rocher du Caro est un point de repère maritime autrefois utilisé pour estimer la hauteur des marées. Il est notable que ce rocher est potentiellement visible dans toute la rade de Brest, notamment depuis le Goulet de Brest permettant de gagner la haute mer.

Et il est tout aussi remarquable de noter que le texte [a2] évoque clairement une mesure de 14 pieds soit 4,55 mètres[1] en prenant pour étalon le pied-de-roi de 0,325 mètre (le Règlement du concours nous donne l’altitude du rocher à 5m au-dessus du niveau de la mer). Nous trouvons en effet une distance très voisine de la hauteur calculée par le SHOM à cette date : la hauteur d’eau était de 5m18 à 22h ce jour-là par rapport au niveau 0 de la mer qui ne fut fixé que postérieurement, en 1883 à Marseille.

Il n’est bien entendu pas possible de trouver dans ce texte la valeur exacte puis nous ignorons de nombreux paramètres comme le point de référence précis sur le rocher mais surtout si le rocher est resté à la même place puisqu’il semble avoir été légèrement déplacé avec le temps.


[1] Conversion disponible sur http://aviatechno.net/unites/pieds.php